Affiliation:
1. Professeure émérite, École de criminologie et Centre international de criminologie comparée, Université de Montréal
Abstract
L’auteure analyse la résistance opposée aux tentatives de libéralisation du contrôle pénal sur le cannabis au Canada. Après avoir inclus le cannabis parmi les drogues interdites en 1923, le législateur n’a cessé d’élargir la portée de sa législation en créant de nouvelles infractions et en augmentant la sévérité des sanctions jusqu’en 1995. Pourtant, dans l’intervalle, le Parlement canadien s’était vu pressé à plusieurs reprises de reconsidérer sa politique des drogues par des comités et commissions qu’il avait lui-même mis sur pied, mais le législateur n’a accordé aucune attention à leurs recommandations. L’adoption en 1996 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, qui a placé le chanvre et ses dérivés hors de la liste des stupéfiants et prévu une certaine dépénalisation de la possession de petites quantités de cannabis, a contraint les partisans du statu quo à adopter des stratégies défensives, ce qu’ils ont fait en introduisant dans les projets de loi et règlements « dépénalisants » des conditions d’application si strictes et tant de circonstances aggravantes que l’intention originelle des projets s’en est trouvée pervertie. L’article montre par ailleurs que si le conservatisme du Parlement sort victorieux de presque toutes les tentatives de libéralisation, c’est qu’il est bien appuyé par la classe des magistrats et par l’exécutif du gouvernement comme le montrent, dans le premier cas, les décisions de cours d’appel (2002) et le jugement majoritaire de la Cour suprême (2003) affirmant la constitutionnalité de l’interdiction de possession de cannabis et comme le prouve, dans le deuxième cas, la politique antidrogue rappelée par les ministres responsables de la santé et de la justice (2003) : les adoucissements consentis dans le projet de loi ont comme objectif une application plus rigoureuse de la loi et l’arrestation de « tous les contrevenants » plutôt que la déjudiciarisation de leur infraction et les « avertissements » qu’autorise la loi actuelle. Ainsi s’expliquent la force et la permanence du conservatisme juridique, social, moral et politique au Canada et l’appel constant au contrôle pénal plutôt qu’à la responsabilité sociale et individuelle comme mode de régulation sociale. Constat intéressant à l’heure où d’autres pays occidentaux signataires, comme le Canada, des conventions internationales s’orientent vers ou ont déjà adopté la dépénalisation ou la décriminalisation du cannabis.
Reference26 articles.
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