Affiliation:
1. IRIST, EA 3424, Université de Strasbourg
Abstract
Depuis sa naissance au XIXe siècle, la vocation affichée de la vulgarisation scientifique est de chercher à combler l’écart culturel entre « savants » et « ignorants » afin d’épauler une science longtemps considérée comme source de progrès de toutes natures. Au cours de la seconde partie du siècle suivant, elle se transforma en une médiatisation de masse, et elle se vit critiquée de toutes parts à partir du dernier quart du XXe siècle. L’une de ces critiques vise l’increasing knowledge gap qu’elle produit au sein de son public : son flux croissant d’information induit une appropriation différenciée au sein du système social, dont les parties dotées des statuts socioéconomiques plus élevés s’approprient cette information plus rapidement que celles qui ont des statuts plus bas, de sorte que le fossé entre les connaissances respectives des unes et des autres tend à s’accroître au lieu de diminuer.
Ce texte s’interroge sur le maintien paradoxal dans nos sociétés de dispositifs de vulgarisation scientifique dont l’increasing knowledge gap révèle cet effet pervers. Il montre que ce maintien tient à une forme de cécité épistémologique : contrairement à une opinion répandue, le modèle de communication pertinent pour penser la vulgarisation scientifique est celui proposé par Gregory Bateson, et non celui qui est issu des travaux de Claude Elwood Shannon. Nous présentons d’abord le modèle shannonien de la communication en tant que référent théorique du « modèle du déficit » qui inspire la vulgarisation scientifique, et nous soulignons sa totale inadaptation à la communication sociale. Nous résumons ensuite la conception batesonienne de la communication en la contrastant point par point avec le modèle précédent. Enfin, nous démontrons que, si l’increasing knowledge gap ne peut pas apparaître dans le cadre de la conception shannonienne de la communication, il s’explique en revanche très simplement dans le cadre de la conception batesonienne de celle-ci.
Reference67 articles.
1. Akrich, Madeleine, Michel Callon et Bruno Latour, Sociologie de la traduction. Textes fondateurs, Paris, Presses de l’École des Mines 2006.
2. Ancori, Bernard, « Analogie, évolution scientifique et réseaux complexes », Nouvelles perspectives en sciences sociales, vol. 1, no 1, 2005, p. 9-62.
3. Ancori, Bernard, « Espace-temps d’un réseau sociocognitif complexe. Jalons pour une épistémologie naturalisée et évolutionnaire. I. Propension à communiquer et présent spécieux », Nouvelles perspectives en sciences sociales, vol. 3, no 2, 2008, p. 113-181.
4. Ancori, Bernard, « Espace-temps d’un réseau sociocognitif complexe. Jalons pour une épistémologie naturalisée et évolutionnaire. II. Temporalités historiques et entropie sociocognitive », Nouvelles perspectives en sciences sociales, vol. 4, n° 1, 2008, p. 9-76.
5. Ancori, Bernard, « La production et la circulation des connaissances scientifiques et des savoirs profanes dans nos sociétés techniciennes », dans Frédéric Darbellay (dir.), La circulation des savoirs. Interdisciplinarité, concepts nomades, analogies, métaphores, Berne, Éditions scientifiques internationales Peter Lang, 2012, p. 203-240.
Cited by
4 articles.
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