Abstract
Le Chili et la Colombie ont vécu des processus de sortie de violence bien différents : au Chili, sortie négociée par les élites d’une dictature marquée par la terreur d’État contre une population revendiquant la démocratie; en Colombie, sortie graduelle d’un conflit armé aux multiples acteurs et paix fragmentée dans l’une des démocraties les plus stables, sur le plan formel, d’Amérique latine. Un trait commun émerge pourtant dans les processus de construction de mémoire de ces deux pays : la présence de mouvements mobilisés autour de la mémoire – notamment des groupes d’étudiants, d’afro-descendants, d’autochtones et de paysans, de femmes, c’est-à-dire que ces mouvements dépassent le cercle des victimes directes. Ces mobilisations « populaires » pour la mémoire semblent se situer ailleurs que sur le plan institutionnel puisque les deux pays présentent des contextes presque opposés, le Chili ayant adopté des politiques renforçant l’amnistie pour les crimes passés et de timides mesures commémoratives 20 ans après la fin de la dictature, tandis que la Colombie, en plein coeur du conflit, a plutôt adopté de nombreuses lois permettant une présence officielle de la mémoire, notamment par la création du Centre national de la mémoire historique. Dans une perspective de politique comparée, ces contextes institutionnels si distincts posent la question des causes communes des fortes mobilisations pour la mémoire issues « d’en bas » : des entretiens de participants des deux pays montrent que ces mouvements portent un rôle politique de la mémoire et un imaginaire de la souffrance partagée face aux violences d’État, situant les violations passées des droits humains dans un continuum avec la violence structurelle et coloniale criminalisant encore les mouvements sociaux en démocratie.
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