Abstract
S’intéresser aux rapports que les individus entretiennent à l’égard du futur et à la façon dont ceux-ci façonnent des états émotionnels (individuels ou collectifs) est utile pour mieux comprendre ce qui motive les pratiques sociales. Cet article propose de s’intéresser aux théories de l’effondrement qui nourrissent l’imaginaire de certains protagonistes du phénomène du « retour à la terre ». Sur la base d’un travail de terrain de longue durée au sein d’une dizaine de collectifs néopaysans dans le Massif central, je mobiliserai le paradigme des temporalités multiples pour nuancer les effets des théories de l’effondrement sur le quotidien des individus. J’argumenterai que les projets visant le repli en monde rural et l’autonomie alimentaire s’inscrivent dans une temporalité présentiste paradoxale qui fait coexister des horizons temporels antinomiques, à la fois pessimistes et optimistes, vis-à-vis de l’avenir et de la lutte sociale. Le refus des acteurs d’adhérer aux grands récits linéaires et d’un mode de lutte organisé et cohérent à visée universelle me permettra ici d’alimenter les réflexions 1) sur l’action humaine dans son rapport à la crise environnementale et sociale et 2) sur des fondements épistémologiques plus généraux, relatifs à la manière d’appréhender les temporalités en sciences sociales.