Abstract
Mobiles par essence comme tous les objets, certains le sont encore plus que d’autres car leur longue migration les pousse vers de nouvelles formes, leur procure des statuts différents ou implique des usages parfois inattendus. Ainsi en va-t-il des « objets frontière », ces objets produits en Europe avec des artificialia ou des naturalia extra-européens. Pour éclairer la manière dont se forment en Europe de l’Ouest de nouvelles frontières formelles, utilitaires et statutaires des objets venus d’ailleurs, on se concentrera autour du cas de l’œuvre réalisée par le duo d’artistes Baltensperger + Siepert, en collaboration avec des exilés dans le cadre du projet Ways to Escape One’s Former Country / Patterns & Traces (2017). La transformation définitive opérée sur le tapis d’Orient ancien sous la forme d’une bande noire nouée suivant les méandres de la route de l’exil des êtres et des objets modifie complètement la perception de l’artefact oriental. D’objet de luxe enrichissant un intérieur européen, le tapis devient une œuvre d’art suscitant la réflexion sur les courants migratoires. La similarité des trajets des objets et des hommes donne, en effet, dans pareil cas, une pertinence particulière à la notion de biographie des objets. À la fois produit de la migration et moyen de la percevoir, le rôle de l’art peut être à son tour également précisé.