Author:
Chebab Fatima Zohra,Ouaras Karim
Abstract
La question linguistique en Algérie ne cesse d’interpeller la société algérienne, de susciter l’intérêt de la communauté scientifique et d’étonner le regard des observateurs par la complexité et l’instabilité qui la caractérisent. Interminable chantier, comme dans tous les pays du Maghreb, elle évolue au gré des contextes politiques, nationaux et internationaux, constamment changeants. Après de longues décennies de tiraillements idéologiques et de projections, restées inachevées, cette question se pose toujours avec la même acuité en Algérie et obéit encore à des enjeux autres que linguistiques. Le traitement « irrationnel » qui lui est réservé a fini par produire des malaises sociaux handicapants et engendrer des situations de tension dans de nombreux secteurs vitaux en Algérie. Le secteur sanitaire en est un, et pas des moindres, car constituant l’univers francophone par excellence en Algérie, un univers auquel se heurte frontalement la politique de l’arabisation prônée par l’Algérie depuis son indépendance en 1962 et celle de l’anglicisation précipitée qui semble retenir l’attention de l’Algérie post-Hirak, dite « nouvelle ». Espace de rencontre et de conflit linguistique, le milieu sanitaire en Algérie donne à voir une cartographie complexe en termes de pratiques linguistiques où l’on voit se côtoyer un personnel soignant francisant du fait de sa formation, un personnel administratif de plus en plus arabisant – du fait de sa formation aussi – et des patients aux pratiques plurilingues effectives (arabe algérien, berbère et français). Dans cet espace où l’on prodigue soin et conseil, la communication devient de plus en plus difficile et sujette à des malentendus, incertitudes et ambiguïtés. Dans la lignée des rares travaux consacrés aux pratiques langagières en milieu sanitaire, le présent article se donne pour objectif de rendre compte de la complexité de la cartographie linguistique caractérisant la structure hospitalière en contexte algérien. L'étude qu'il porte s’inscrit essentiellement dans le domaine de la sociolinguistique et de l'analyse du discours mais sans perdre de vue les éclairages des Sciences sociales dans leur globalité. Cette étude met l’accent sur les dernières mesures politico-linguistiques imposées à ce secteur et examine l’instabilité de sa praxis linguistique.Les bouleversements politiques qu’a connus l’Algérie ces toutes dernières années ont placé la question linguistique au centre des débats esquivant ainsi les multiples difficultés rencontrées tant à l’échelle nationale qu’internationale. Cette situation a remis en question les statuts des langues nationales et étrangères et a engagé une reconsidération de la primauté des unes par rapport aux autres. D’essence plurilingue à dominante francophone, le milieu sanitaire est de plus en plus exposé au triptyque injonctif « Arabisation, Défrancisation, Anglicisation ». Si d’apparence, les langues en présence en milieu hospitalier algérien évoluent dans une perspective plus ou moins harmonieuse, les enjeux qui les entourent les marquent d’une empreinte conflictuelle pouvant déstabiliser leur fonctionnement effectif consistant à répondre à des finalités d’ordre sanitaire. Révélatrice de tensions et de conflits dans le milieu hospitalier algérien, cette situation commence à inquiéter les professionnels de santé. Basée sur une approche qualitative et compréhensive, la présente étude se propose d’examiner les enjeux qui sous-tendent la nouvelle orientation politique en termes de choix linguistiques prônant substitution de la langue anglaise à la langue française en Algérie. Cette nouvelle donne n’est autre que le fruit des récurrentes tensions diplomatiques entre Alger et Paris, liées essentiellement aux enjeux mémoriels. À défaut de résoudre et assainir objectivement ces dernières, on s’attelle à défranciser et angliciser après avoir tenté d’arabiser. La présente étude tente d’examiner cette nouvelle donne de la politique linguistique en milieu hospitalier algérien et ce à partir de l’analyse des données d’une enquête qualitative menée auprès des acteurs de la santé du Centre hospitalo-universitaire de Mostaganem.L’analyse démontre que l’arabisation de ce secteur puis la volonté de l’angliciser ne sont en réalité qu’une tentative de « défrancisation » d’un secteur francophone par excellence. Ne prenant pas en compte les attentes des professionnels de santé et de la société algérienne dans sa globalité, ces décisions injonctives et coercitives risquent de se heurter encore une fois aux dynamiques du terrain qui obéissent à des logiques complexes.