Abstract
Depuis les années 1990, le Groenland développe l’industrie minière autour de la « zone frontière », stratégie d’exploration et de cartographie des sous-sols. Cette orientation vise à permettre l’accession économique à l’indépendance vis-à-vis du Danemark, fondant une définition nationaliste de la frontière des ressources. Le projet minier de Kuannersuit, qui permettrait d’amorcer la bascule vers l’exploitation, génère pourtant entre 2013 et 2021 une opposition sociale massive. S’appuyant sur des données ethnographiques relatives à ce conflit récoltées entre 2016 et 2022, ainsi que sur des documents industriels établis par la compagnie minière, cet article examine ce conflit à l’aune de son engagement dans cette frontière nationale. De quelles manières l’intervention industrielle affecte-t-elle son déploiement, et dans quelle mesure l’État opère-t-il sa propre territorialisation par le développement industriel ? L’article souligne d’abord le phénomène de redéfinition spatiale autour d’un volume de ressources contrôlées par l’État – un volume frontalier – généré par l’enclavement minier. Il analyse ensuite la territorialisation par la décharge au secteur privé. Il interroge pour finir le paradoxe de cette frontière se faisant simultanément espace de ressources et de régulation étatique, et espace de spéculation et d’appropriation marchande. Il se veut ainsi une contribution à la littérature sur les zones frontières et l’extractivisme.