Abstract
Au cœur des sociétés africaines et notamment au Cameroun, où je mène mes enquêtes et collecte mes données, il existe deux constantes difficilement négligeables dans l’analyse du panorama socio-économique et religieux local : les plaintes récurrentes liées aux attaques sorcellaires, couplées à une offre thérapeutique si originale et variée qu’elle semble illimitée. C’est que, les populations, dans leurs déboires, leurs plaintes et leurs quêtes de guérison, n’ont que l’embarras du choix avec la consultation des médecins, des pasteurs/prophètes et des guérisseurs « traditionnels », spécialistes relevant des trois sphères curatives majoritaires. En dehors des médecins et leurs savoirs biomédicaux respectifs, les deux autres figures thérapeutiques travaillent régulièrement en mobilisant des forces surnaturelles détenues par certains non-humains – êtres présentés localement comme spirituels –, lorsqu’elles ne prétendent pas, être détentrices de ces pouvoirs obtenus dans le cadre d’une alliance avec tels êtres. Ces pouvoirs peuvent, par exemple, ainsi être obtenus via l’atteinte d’un niveau d’expertise rituelle plus ou moins avancé, qui les autorise à communiquer avec ces êtres. Or, cette communication se retrouve au cœur de leurs stratégies thérapeutiques, lorsque ces guérisseurs allient les connaissances développées du monde naturel – de la pharmacopée – et des divers types de ces entités non humaines (divinités, esprits, ancêtres ou encore créatures particulières) aux modalités d’interpellation particulières (discours, oraisons, lieux spéciaux, techniques/gestes techniques, matériaux, chants/louanges, etc.) dans le but d’obtenir (ou négocier) d’elles des services de guérison/revitalisation, de purification/conjuration ou encore de dépossession et de bénédiction. L’objectif de la présente proposition sera surtout d’évaluer, à partir de l’exemple de deux thérapeutes exerçant au Centre du Cameroun – un « prêtre gnostique », selon sa propre formule, et un guérisseur « traditionnel » –, les modes de construction de l’agentivité (Gell 1998) de ces non-humains, leurs classifications, et surtout les manières de rentrer en contact avec eux, afin de mobiliser leurs capacités d’action particulières, lors de certaines séquences de soin. Je m’appuierai principalement sur des matériaux collectés sur plusieurs mois en observations passive et participative entre 2021 et 2022, dans le cadre de mes travaux de thèse. Le but sera alors de décrypter les techniques employées par certains humains – les experts rituels – établissent des relations ou coopèrent avec de tels non-humains singuliers, invisibles mais qui ne sont pourtant pas des êtres de fiction et dont l’impact sur la vie des populations ne saurait être négligée.
Subject
General Materials Science
Reference31 articles.
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