Abstract
Les liens entre associations et pouvoirs publics jouent un rôle singulier dans la fabrique d’une politique publique de lutte contre la traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle. À partir d’enquêtes par observations et entretiens auprès des acteurs du social (associations d’aide aux travailleur·euses du sexe) et du pénal (police, justice) engagés dans la lutte contre la traite, cet article propose de revenir sur la manière dont les associations ont constitué et revendiqué, auprès des pouvoirs publics, une expertise en matière de repérage et d’identification des victimes de traite, en particulier lorsqu’elles sont nigérianes. L’enquête montre à cet égard le rôle particulier joué par la revendication d’une expertise dite « culturelle », associant à l’origine supposée des victimes et des auteur·rices des modalités particulières de commission de l’infraction et d’exercice de la contrainte. L’observation des arènes partenariales réunissant acteurs associatifs et répressifs montre alors comment la circulation de cette expertise contribue à construire des légitimités professionnelles croisées entre les deux familles d’acteurs, favorisant à la fois l’altérisation radicale des populations-cibles de l’action publique et le rapprochement entre logiques sociales et logiques pénales.