Abstract
Quelle est la signification du « corps anonyme » ou, plus simplement, de l’anonymat dans l’usage qu’en fait Merleau-Ponty? Peut-elle offrir des ressources pour une critique féministe radicale et une politique émancipatrice? Certaines philosophes féministes en ont traité comme un idéal universel abstrait du corps qui est à la fois exempt de toute particularité et qui présume tacitement que le corps blanc masculin servirait de norme et aurait une puissance normative. D’autres ont voulu montrer que l’anonymat éclaire les manières dont la domination et la normativité sont intrinsèques à la constitution corporelle. Je soutiens que le « corps anonyme » peut être lu d’une manière productive pour la compréhension des manières dont le corps vécu est fondamentalement constitué par des relations concrètes de pouvoir. Plus particulièrement, je reprends deux lectures de l’anonymat, l’une comme temporalité vécue – un passé sédimenté – et l’autre comme intériorité corporelle. Prises ensemble, ces lectures montrent que l’anonymat soutient le champ intersubjectif, qui joue un rôle clé dans la description de la constitution corporelle de Merleau-Ponty. Je reprends ensuite cette description pour lire la théorie du schéma corporel de Frantz Fanon et les histoires autobiographiques de l’écrivaine et activiste yankton Zitkála-Šá, le tout afin de montrer que le déni de l’anonymat, qui dérange le champ intersubjectif, a pour résultat une violence et des maux considérables. Le tout servira à montrer que la description du corps anonyme par Merleau-Ponty fournit d’importantes ressources pour une politique émancipatrice et une critique philosophique radicale.