Abstract
« Faire » un énoncé artistique, c’est toujours, au départ « faire un point », fût-il grain du pigment archaïque, point de la peinture (Kandinsky), point-écran de la vidéo (Kuntzel) ou pixel de l’écran informatique. Ce grain-point qui détermine la genèse du visuel procède de pratiques différentes selon qu’il manifeste une intentionnalité rituelle (Leroi-Gourhan) ou esthétique. Il suggère également des rapports distincts à l’énonciation et plusieurs définitions épistémologiques : le grain est posé ; avec un liant, il devient peinture et se dispose au geste du peintre tandis que le pixel, échangeur entre l’image et le calcul mathématique, se « fait » à l’écran.Qui « fait » ? (quelle instance) et que « fait »-il (poser, tracer, composer à l’écran…) ? On voit aussi que le lien intime qui relie, par-delà les âges, le pigment de la Préhistoire au pixel d’aujourd’hui, sous-tend des modèles génératifs et des régimes sémiotiques distincts (l’alternative représentation/simulation de Couchot). La différence porte de même sur les rapports à la perception, l’effet « pelliculaire » du pixel renouant avec celui du pigment mais s’opposant résolument aux profondeurs de la peinture. Pourtant, en dépit de ces différences, une ressemblance essentielle subsiste qui tient au caractère veridictoire du grain-point. En effet, c’est toujours ce grain-point qui, devenu ligne (Kandinsky) et figure, déclare l’image comme telle, qu’il trahisse sa fiction au travers du flou ou du carré insistant du pixel-art. Par cet effet métadiscursif, il révèle que l’image a été faite et relève bien d’un « faire » poïétique séparé de l’être, quand bien même elle paraît-être. En ce sens, la « vérité » des images tiendrait moins à la collusion du paraître et de l’être que consacre le carré de la véridiction qu’à une déhiscence fondamentale entre l’être et le « faire ».
Reference24 articles.
1. Gian Battista Alberti, De Pictura, Paris, Macula, Dedale, 1992 [1435].
2. Raymond Bellour, « D’entre les corps », L’entre-images, photo-cinéma-vidéo, Paris, La Différence, 2002.
3. Anne Beyaert-Geslin, « L’esthétique du pixel. L’accentuation de la texture dans l’œuvre graphique de John Maeda », Communication et langages, n° 138, 2003, pp. 23-37.
4. Anne Beyaert-Geslin, « Texture, couleur, lumière et autres arrangements de la perception », Protée, vol. 31, n° 3, 2003-2004, pp. 81-90.
5. Anne Beyaert-Geslin, « Crénelage, capiton et métadiscours. Où l’image numérique résiste à la ressemblance », Protée (32), 2, 2004, pp. 75-83.